CHAPITRE CINQ
Deux heures plus tard...
"Merci beaucoup à tous les intervenants d'avoir accepté d'être présents. Un grand merci à Franck pour son témoignage rare.
Dans la rue...
- Encore merci, Franck. Je te dépose ?
- Merci, mais c'est fini le taxi. Je vais rentrer à pied, histoire de prendre l'air.
- Avant de partir, Franck....j'ai une surprise...
Elle a accepté, Franck.
..."Bonsoir Franck.
Il y a une dernière chose dont tu n'as pas parlé. Après ta réinsertion, comment tu as tourné la page ?
Cinq mois avant la fin de peine.
Jamais, la sensation de stress n’avait été aussi présente. Franck avait le coeur qui palpitait, les mains moites et ne pouvait tenir en place. Dans quelques instants, il avait rendez-vous avec le directeur de l’établissement pénitentiaire, la psychologue carcérale, et d’autres personnels de l’administration pénitentiaire. Bruno avait assuré qu’il serait là également.
Pour la première fois, il allait enfin évoquer la suite. L’avenir, la fin de peine. Et son projet de réinsertion professionnelle. Il attendait dans le couloir du bureau de la direction. Il pianotait avec ses doigts sur ses genoux, ses jambes semblaient vouloir prendre la poudre d’escampette, et son coeur battait la chamade. Franck, étonnamment, appréciait cet instant. Il se sentait humain, adulte, et responsable. Il avait un projet, il avait un rendez-vous, et il était un détenu en fin de peine. Jamais il n’aurait pensé survivre à ces trente années. Après toute cette vie carcérale, il avait peur de la suite, mais il voulait vivre cette sensation. Finalement, il voulait avoir peur, il voulait partir, il voulait recommencer à zéro. Se reconstruire après une vie déconstruite.
Souvent passée sous silence, la réinsertion est une étape-clé du parcours carcéral d’un détenu.
Les longues peines sont souvent sources de problèmes pour les détenus, comme les risques d’addictions souligne l’Observatoire International des Prisons, qui concerneraient 8 prisonnier sur 10.
Pour soutenir les projets de réinsertions professionnelles, l’Administration Pénitentiaire travaille en lien avec différentes associations. Le Ministère de la Justice met à disposition des détenus des conseillers pouvant suivre leurs dossiers afin de les accompagner dans leurs démarches.
Toutefois, ce suivi est faible dénonce l’OIP. Seulement 14% des détenus consultent un conseiller avant la sortie de prison.
Sorti de prison, les difficultés peuvent s’accumuler : difficulté à retrouver un emploi, perte de repères, aucun lien familial existant, … 14% d’ex-détenus ne disposeraient pas de solution d’hébergement.
La porte de la direction était d’un bois massif. Il n’entendait rien à travers. Que pouvait-il bien se dire pour retarder tant le rendez-vous ? En réalité, il ne savait pas s’ils étaient en retard. Il n’avait pas de montre. « En sortant, je m’achèterai une montre ».
« S’il vous plait ? » Sorti de ses pensées, il leva la tête. Le directeur avait ouvert la porte, en silence. « Vous nous rejoignez ? » Franck jeta un regard à l’intérieur du bureau. La psychologue carcérale du SPIP était présente, Bruno aussi, et d’autres personnes dont il avait déjà croisé les visages, sans toutefois connaitre réellement leurs rôles.
Il se leva, se sentant bizarrement comme un jeune écolier qui allait passer dans le bureau du directeur pour une bêtise. Il entra dans la pièce, salua tout le monde d’un hochement de tête, puis s’assit sur une chaise. Bruno lui mit la main à l’épaule, comme pour le rassurer.
Le directeur d’établissement entama la conversation :
« Bon, nous voilà pour discuter de la réinsertion professionnelle de monsieur Franck Parson. Nous avons pu discuter avec Bruno, qui nous a longuement parlé de vous. Mme. Hamain a également souhaité prendre part à la discussion et est soigneusement revenue sur votre profil. Nous avons évoqué également le fait que vous avez participé à des ateliers avec l’association sur la restauration de livres où vous avez pu gagner une petite rémunération auprès d’entreprises qui souhaitaient retrouver des livres en bon état. Vous avez purgé actuellement la quasi-totalité de votre peine carcérale, étant sur vos derniers mois de détention. Votre vie carcérale a été particulièrement remarquable, aucun débordement de votre part. Aucun retard à des rendez-vous, un suivi particulièrement actif avec le SPIP sur la fin de votre peine. Nous apprécions également la volonté d’une réinsertion professionnelle sérieuse et sincère, si l’on en croit l’association via la parole de Bruno, son président. Nous n’estimons toutefois qu’il n’est pas envisageable pour vous, pour la courte durée restante, de vous mettre en semi-liberté. Il est plus que pertinent de vous focaliser sur la recherche d’une formation de libraire dès la sortie de la prison. Bruno s’est porté volontaire avec l’association pour vous accompagner tout au long de vos démarches. De mon côté, j’ai souhaité ce rendez-vous pour faire le point et avoir votre parole. »
Tout au long de ce long discours, Franck avait bu les paroles du directeur d’établissement. Les déclarations coulaient délicatement jusqu’aux oreilles de Franck : il se sentait rassasié, comme si jusqu’ici, il avait été assoiffé et qu’on lui tendait enfin le verre d’eau tant attendu. On lui faisait un retour de sa vie carcérale, de sa vie tout court au final. On semblait enfin croire en lui. Et jamais la fin et la renaissance n’avait été aussi réelles.
- Également, reprit le directeur, vous comprenez que nous suivons de près votre dossier car nous souhaitons tout autant que vous que votre réinsertion soit la plus réussie possible. Au delà de tout faire pour éviter une quelconque récidive, nous souhaitons surveiller votre ressenti moral. Comment vous sentez-vous ?
- Je…Honnêtement, je me sens bizarre monsieur le directeur. Je ne saurais remercier Bruno quant à tous ces jolis mots qu’il a dû dire à mon égard. Quant à moi, je voudrais simplement dire que jamais je ne me sentirais parfaitement en paix, ces années étant gravées définitivement en moi. Ce vécu, je ne veux jamais le ressentir, je veux tout faire pour éviter de le revivre. Je veux être formé. Je veux me battre pour avoir cet emploi. Je remercie l’Administration Pénitentiaire quant à l’acceptation de collaborer avec l’association de Bruno, comme par exemple la permission d’avoir accès à mon dossier. Les rencontres avec l’association ont été si…fructueuses. On a parlé longtemps avec Bruno et d’autres bénévoles de mes souhaits, de mes capacités. Je sais que d’autres détenus que je connaissais ont eu la chance de la semi-liberté, et ont malgré tout, en fin de compte, récidivé. Honnêtement, de mon côté, je ne peux pas dire que je les comprends, tant mon ressenti est différent, mais je peux saisir combien il est difficile de revenir dans cette société. J’ai peur, à dire vrai. Mais si je ne le fais pas, si je ne me lance pas directement dans mon projet, je récidiverai. C’est ma peur principale. Et je ferais tout pour que ça n’arrive pas.
Tout au long de la période de fin de peine, les détenus doivent être suivis par des conseillers de Pôle Emploi. Ces interventions sont en lien avec le SPIP, les psychologues carcérales, les associations en fonction des cas.
Le jour de la sortie, le détenu rencontre le service de greffe. Le greffier effectue une levée d’écrou, mettant fin à la période d’incarcération. À la suite de cela, un billet de sortie est délivré à l’ex-détenu pour prouver de la régularité de sa situation.
« Et ça n’est pas arrivé. » Franck venait de finir de raconter cet entretien. Amélia était là, en face de lui. Elle était toujours aussi belle, après toutes ces années. Franck se rendait compte qu’elle pleurait. Il ne savait pas s’il pouvait la rassurer, après toutes ces années. Il se sentait bête de toutes ces années gâchées.
« Non, effectivement, ça n’est pas arrivé. Le jour de ma sortie définitive, Bruno est venu me chercher en voiture. La même voiture qu’il utilisait pour faire le taxi aux détenus qui étaient en semi-liberté. Dans la voiture, je me rappelle, j’avais tout les papiers qui m’attendaient. J’ai eu tellement de choses à faire les premiers mois. Retrouver une banque, trouver un logement, refaire les démarches administratives,…J’ai eu tellement de choses, je ne pensais qu’à revenir à mon statut de citoyen libre. Je…Bruno a toujours été là. C’est pour lui que j’ai accepté de parler à un public, lors de ce colloque.
À la sortie de prison, l’ex-détenu a de nombreuses démarches administratives à effectuer.
L’ex-détenu doit avertir les administrations du changement de son statut, notamment auprès du service des impôts.
Pour certains cas où il est craint une récidive, l’ex-détenu peut faire face à une procédure de surveillance de sûreté.
L’ancien prisonnier a le droit, six mois après la fin de peine, de solliciter l’aide du SPIP afin d’aider dans les démarches administratives.
Des aides financières peuvent être apportées si l’ancien prisonnier n’a aucun revenu : notamment le RSA, la garantie jeunes ou encore le PACEA (parcours d’accompagnement contractualisé vers l’emploi et vers l’autonomie).
Après tout ça, j’ai eu de nombreux rendez-vous avec des banquiers, des investisseurs. Ça a été une vraie bataille. Il m’a fallu faire ma formation, exceller dedans. Prouver que j’étais aussi intéressant que les autres, malgré mon parcours, malgré mon âge. Et je l’ai fait. Je l’ai fait, Amélia. On est en train d’évoquer la possibilité que j’ouvre ma propre librairie ! Tu te rends compte ?
- Je m’en rends compte, Franck. Et j’en suis plus qu’heureuse pour toi.
- Amélia…pourquoi es-tu venue ce soir ?
- Bruno a réussi à me contacter. Il disait qu’une réinsertion n’était pas que professionnelle. Il fallait aussi être en paix avec soi-même. Il m’a dit de simplement venir, sans me montrer, et de t’écouter. De voir si je voulais revenir te parler. Après toutes ces années, je…J’ai accepté, et je suis revenue. Et j’ai eu envie de te parler.
- Qu’as tu fait pendant ces trente ans ? Tu es toujours …
- Non, je suis secrétaire dans une agence immobilière. J’ai…J’ai divorcé il y a un an, et j’ai une fille, Maëva.
Le froid de l’hiver mordait les joues de Franck. Ou était-ce le trop plein de nouvelles ? Il ne savait pas, et préférait laisser parler le silence de la nuit, comme simple réponse. Il acceptait le vécu d’Amélia. Elle avait continué sans lui, et c’était de sa faute. Tout aurait pu être différent s’il n’avait pas fait ce parcours-là. Il acceptait simplement son histoire.
- Maëva ? murmura Franck, en rompant le silence. C’est joli, Maëva.
- Oui, souria t-elle.
Ils se regardèrent tous les deux.
- Tu rentres comment chez toi ? demande Amélia.
- À pied.
- Je peux te déposer chez toi, si tu veux…
Dans la voiture, le calme était d’une sérénité absolue. Franck était en paix. Elle ne l’avait pas plus assailli de questions, lui non plus. Elle se concentrait sur sa conduite, roulant sur la départementale. L’horizon était invisible, tant il faisait sombre. Seul le marquage au sol était perceptible. Elle roulait, avec un léger sourire semblait-il. Franck avait posé sa tête sur la vitre, assis sur le siège passager avant. Il regardait au loin : dans la pénombre, il distinguait les points rouges des éoliennes.