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CHAPITRE QUATRE

Tout ça nous amène ici, où j'ai accepté de parler, à la demande Bruno.

- Merci Franck. 

Maintenant, fautes de questions, on peut...

- Oh, je crois que je n'ai pas fini de répondre aux questions...

"Bon. Je propose de rendre plus facile le moment pour Franck.

Bougeons les chaises et installons Franck à côté de la fenêtre pour qu'il puisse fumer.

Quelques instants plus tard...

- Vous évoquiez tout à l'heure le mal-être en prison.

Quelles sont les conditions en général  de la vie carcérale ?

Le surveillant, debout à sa droite, venait de l’extirper de ses pensées : « Allez, détenu Parson, on y va. » Machinalement, Franck leva son bras pour aller ouvrir la porte. Un geste stoppé net dans son élan par le surveillant. « Non, ce n’est pas toi qui ouvre les portes. C’est nous qui te les ouvrirons à chaque fois, c’est compris ? » 

 

Prit de court, Franck hocha simplement la tête. Ce n’était donc pas lui qui ouvrirait les portes. Il se le répéta plusieurs fois intérieurement pour assimiler rapidement ce nouveau réflexe. « Ce n’est pas possible, on n’est même pas capable d’ouvrir simplement une porte ? Ils croient quoi ? Qu’on va les casser ? » 

Le premier jour d’un détenu en prison est une étape-clé de sa période d’incarcération.

 

Le détenu arrivé à l’établissement pénitentiaire est placé en cellule d’attente. Un agent du greffe de l’établissement effectue les démarches de la mise sous écrou du détenu. Des fouilles sont effectuées, ainsi que des relevés d’empreintes, des photos. À la fin de ces procédures, un numéro d’écrou est donné au détenu qui découvre ensuite sa cellule ordinaire.

Le visage fermé, Franck comprenait que derrière la porte, sa vie allait basculer. Jusqu’à ce moment tant redouté, il n’avait cessé lors de sa détention provisoire de croire à un retournement de situation. Qu’il n’allait pas vraiment vivre autant de temps en prison. Mais à ce moment précis où la sonnerie stridente retentissait, signal de déverrouillage de la porte, il ne croyait plus en rien. Le coeur battant, il comprenait simplement que c’était réel. « Ce n’est pas possible, je peux pas y passer trente ans… ». 

Premier jour d’incarcération

Tout en s’indignant intérieurement, Franck suivit le surveillant bientôt rejoint par des collègues. Tout lui paraissait flou, difficile à appréhender. Il suivait simplement les gardiens. Il avançait là où ils avançaient. Franck essayait tant bien que mal de découvrir son nouvel univers, mais rien n’y faisait. Il n’avait pas envie de le découvrir. Il voulait simplement fermer les yeux et imaginer un autre endroit. Être ailleurs, ça aussi, ça n’était pas possible.

Plusieurs années après son premier jour, Franck n’arrivait plus à se remémorer ce début difficile. Il ne se souvenait plus du parcours qu’il avait fait dans le centre de détention, de qui il avait rencontré, des informations qu’on lui avait donné. Il se souvenait vaguement d’avoir reçu un kit d’entretien, mis dans ses mains sans plus d’informations précises. Mais tout était vague, et c’était comme si sa mémoire avait volontairement mise de côté ce premier jour, début d’une très longue série de journées répétitives.  

Ce dont il se souvenait très bien toutefois, c’était sa cellule. Des années après son incarcération, vers la fin de sa vie, Franck se réveillait parfois d’un cauchemar, le lit trempé de sueur. Il se souvenait de sa première impression face à la chambre où il dormirait durant trente ans. Réveillé de ses cauchemars, Franck ne pouvait plus s’empêcher d’aller dans le jardin, peu importe le temps. Là, dans le calme nocturne de la campagne, il entendait encore le gardien lui parler. 

La cellule de prison est le lieu où le détenu doit être enfermé la nuit et à certaines périodes de la journée. Les périodes d’enfermement sont définies par le règlement intérieur de l’établissement pénitentiaire. La cellule est soit individuelle (de 11 mètres carrés) soit collective (trois ou quatre places). Il peut arriver que des cellules soient plus petites étant donné qu’il n’existe pas de normes spécifiques dans le droit français. 

« Voici ta cellule. Mets ton kit d’entretien dans le coin. On te donnera, je ne sais quand, un kit pour nettoyer ta cellule. On va passer tout à l’heure, avec le directeur d’établissement, pour faire passer toutes les informations à savoir concernant les nouveaux détenus. En attendant, tu vois ton avocat demain au parloir, à neuf heures. » Sans un mot de plus, Franck comprit que le surveillant avait terminé. Il entra doucement dans la cellule. 

La porte se referma derrière lui. Franck entendait au loin les échos des autres détenus, mélange de cris et de discussions. Il avait l’impression qu’il y avait une dispute au loin. Au milieu de la cellule, les bras ballants, hagard, il en fit le tour. Du béton. Et au bout de celle-ci, trois barreaux permettant une ouverture sur un horizon qu’il n’avait même pas envie de découvrir. 

Il passa la fin de journée, couché dans son lit, face au plafond. Il regardait les petites inscriptions gravées par d’anciens détenus qui étaient passés ici avant lui. Et il ne cessait de se répéter en tête que ce n’était pas possible. Que jamais il ne pourrait passer trente ans dans ce lieu. Il avait l’impression de devenir claustrophobe. Au fil du temps perdu, il ne se rendit pas compte que la nuit tombait. 

Il faisait maintenant sombre dans la chambre lorsqu’il remarqua un léger clignotement rouge qui embrassait l’obscurité de sa cellule. Toutes les cinq secondes, la cellule se retrouvait légèrement drapée d’un filet rouge. Intrigué, il se releva et traina doucement vers la fenêtre. Et c’est là qu’il vit les éoliennes à l’horizon. Des dizaines de points rouges qui clignotaient et qui transperçaient l’épais drap noir qui recouvrait le paysage oublié. Le coeur gonflé, il soupira. C’était probablement à ce moment-là qu’il se rendit compte qu’il était vraiment en prison. Il se recoucha, et en s’endormant, sa respiration commença lentement à s’adapter au rythme des lumières rouges. Il n’était pas impossible, cette première nuit, que des larmes coulèrent dans la petite cellule où dormait Franck.

De 19h à 7h du matin, les cellules sont fermées. Aucun détenu n’a le droit de sortir de sa cellule.

« Bonjour Franck. Vous allez bien ? » L’avocat de Franck était arrivé dans le parloir. Il posa sa valise sur le sol, et tout en prenant le temps d’enlever son manteau qui paraissait peser une tonne, il sembla faire un léger sourire. 

 

Franck était assis, et il le regarda de haut en bas. Cet avocat, qui était le sien, n’était pas celui qu’il aurait souhaité. Du moins, ce n’est pas comme ça qu’il imaginait un avocat. Celui-ci était un peu pataud, mais ce n’était sans doute pas important. Le magistrat s’assit et fit face à Franck. 

« Bon, Franck, il est temps de se pencher sur la question de l’indemnisation de la famille de la victime. Vous leur devez une importante somme et nous savons tous les deux que plus on envisage tôt de les payer, plus vite vous serez débarrassé de cette histoire. » 

 

En réalité, Franck se rendit compte qu’il ne l’appréciait pas du tout. 

« Oui, enfin, après j’en ai pour trente ans. Donc…

- Oui, mais ce n’est pas vous qui décidez. Votre femme est prête à avancer de l’argent, vous en avez encore sur votre compte. Ce sera donc là où les indemnisations commenceront. Mais il faut préparer le plus tôt possible le moment où vous n’aurez plus rien, pour continuer les indemnisations. 

- Et aussi prévoir mon avenir ? 

- Et aussi prévoir votre avenir. 

Le juge pénal peut condamner l’auteur d’un crime / délit à indemniser la victime ou la famille de celle-ci, et ce en plus d’une condamnation donnant lieu à une durée d’incarcération et une amende. Le détenu peut travailler soit dans l’établissement pénitentiaire soit dans une entreprise s’il est en semi-liberté pour pouvoir indemniser la victime. Si le montant ne peut être recouvré par le détenu, fautes de moyens économiques, il est possible de demander une aide au Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infraction (SARVI). 

L’avocat continua de parler durant une quarantaine de minutes, mais Franck n’était plus vraiment attentif. Il se sentait sale. Sale d’être là, dans cette prison. Sale de ce qu’il avait fait. Sale de faire face à ce qui semblait être un avocat. Et sale tout simplement aussi. Il n’avait pas pu prendre de douche depuis son arrivée. Il rêvait d’une douche bien chaude. S’il pouvait, il y resterait une heure et demie. Il n’en sortirait plus. Hier, il n’avait pas pu en prendre en arrivant, sous prétexte qu’il y avait un souci de canalisations. On lui avait promis qu’aujourd’hui il pourrait en prendre une. C’était son seul réconfort face à l’avocat qui semblait ne jamais s’arrêter de parler. 

24ème année d’incarcération

 

« Ça fait du bien hein ? » Franck essaya de regarder qui lui parlait, mais le savon lui piquait trop les yeux. Tout en continuant de se brosser, il répondit vaguement un « oui » grommelé. Il entendit les pas de celui qui venait de parler s’éloigner. Au-delà de ne pas savoir qui lui avait parlé, ça l’énervait ces douches collectives. Il n’avait aucune réelle intimité et il ne pouvait pas se doucher autant qu'il le souhaitait. C’était sa deuxième douche de la semaine, il fallait être efficace. Se laver partout dans un court laps de temps. 

Mais rien n’y faisait : même avec trois douches par semaine, Franck se sentait sale. Il n’avait pas de réelle satisfaction à la sortie de sa douche. Même sans miroir, il savait qu’il avait les dents jaunies. Il savait qu’il ne sentait pas agréablement bon. Si au début de sa vie carcérale, il s’en plaignait souvent, ces derniers temps, il se contentait de râler rapidement puis passait à autre chose. Il commençait à absorber les mécanismes du micro-système de la prison. 

Définis par le code de procédure pénale, il existe des articles concernant les conditions d’hygiène en milieu carcéral

 

Selon les articles, les détenus ont le droit à une douche à leur arrivée dans l’établissement pénitentiaire. Un détenu a le droit à trois douche par semaine (et à une douche après une séance de sport, ou le retour du travail).

 

S’il peut exister des douches individuelles dans les cellules, ce sont le plus souvent des douches collectives que l’on retrouve dans les établissements pénitentiaires. 

Il n’était pas propre mais il s’en fichait de plus en plus. À chaque fois qu’il allait quelque part, il attendait qu’on lui ouvre la porte. Il ne réagissait plus quand on l’appelait parfois « prisonnier », « taulard » de la part de certains surveillants. Il avait de plus en plus mal au dos, ce qui l'empêchait de rester longtemps au même endroit dans une même position. Il avait de plus en plus de mal à dormir. Mais il s’en fichait. Il ne restait plus tant d’années à purger. Il allait sur sa vingt-cinquième année dans quelques mois, plus que cinq années à passer ici. Si au début les minutes étaient des années, vers la fin, les mois étaient des secondes. Tout semblait s’accélérer et en même temps, rien ne semblait réellement avancer. Selon son moral, il percevait le reste de sa peine d’un angle différent. 

De retour dans sa cellule, assis à son bureau, il réfléchissait quant à la formule à prendre pour entamer l’écriture de sa lettre. Depuis quelque temps, et sur conseil du personnel de l’administration pénitentiaire, il hésitait à écrire à l’Observatoire International des Prisons pour faire part des manquements qu’il constatait. Il était possible apparemment de les saisir et d’évoquer ce qui semblait ne pas aller dans son lieu de détention. Si au départ, il n’en attendait pas grand chose, au fil des jours, il commençait à espérer un changement enclenché par son courrier. C’est pourquoi il bloquait depuis plusieurs minutes sur la phrase qu’il fallait écrire en début de lettre. « Chers messieurs-dames… » Non, cela sonne faux. « Bonjour, je » Non, non, c’est beaucoup trop familier. « Cette lettre est destinée… » Non, non et non. 

« Si seulement Bruno était là, il pourrait m’aider à écrire cette lettre » pensa t-il. Mais il se souvint rapidement de la première rencontre avec le bénévole, où celui-ci lui avait dit qu’il n’était pas plus bête qu’un autre. Réconforté par cette pensée, il inspira grandement et se mit à écrire. 

« À l’intention de l’Observatoire National des Prisons. Je suis le détenu Franck Parson et je vous écris ce courrier pour vous faire part de plusieurs manquements que j’ai constaté au fil de ma période d’incarcération ». Ébahi par ce début, il était revigoré. Il en était capable.

L’Observatoire International des Prisons (OIP) dispose d’une section française (SF). Association de loi 1901, elle agit « pour le respect des droits de l’homme en milieu carcéral et pour un moindre recours à l’emprisonnement. » 

 

L’association observe les conditions des prisonniers et alerte l’opinion publique ainsi que les institutions en cas de manquement au respect des procédures et textes de lois.

 

Fin 2019, l’OIP lançait un appel à l’aide national. Selon un communiqué, l’association annonçait faire face à une baisse importante des subventions publiques à hauteur de 66%. 

Des mois passèrent, et il n’avait toujours pas obtenu de réponse. Il avait perdu espoir, se disant que cela n’avait servi à rien. Mais un jour, il reçut un courrier, apporté par un personnel de la direction en personne. 

« Détenu XXX, vous avez reçu votre réponse de l’OIP. On a reçu un courrier également de l’OIP, à la suite de votre saisie. » Franck comprenait que la personne tentait de lui glisser un reproche, mais il n’en prit pas compte. Il prit simplement la lettre et alla la lire pendant qu’il soupait. La lecture de la lettre était l’un des moments les plus joyeux de sa période carcérale. L’OIP disait avoir pris en compte la situation et dépêché des personnes censées faire le point sur la situation. Rien ne changerait immédiatement, mais cette soudaine prise en compte de sa demande le faisait se sentir humain, et non plus simple détenu.

Plusieurs mois après la fin de peine. 

 

Pendant combien de temps, Franck allait-il apprécier ces promenades à l’air libre ? Depuis la sortie, il sortait presque tous les jours, marchait durant une heure, se promenant sans but précis. Il se sentait simplement bien. Tous les soirs, il rentrait chez lui, dans un logement HLM, trouvé grâce au soutien de l’association de Bruno. Et tous les soirs, c’était la même chose : dans l’escalier, après avoir essuyé ses pieds sur son tapis, il attendait. Il attendait durant quelques secondes qu’on lui ouvrit la porte. Il attendait le signal qui annonçait le déverrouillage. Et il se rendait compte, à chaque fois, quelques secondes après, qu’il n’avait plus besoin de personne pour ouvrir la porte.

La vie, en milieu carcéral.Interview de Nahida Yakouben, juriste et engagée auprès de l'OIP.
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