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CHAPITRE TROIS

"Au fond, c'est comme un marquage 

indélébile, à la fois sur votre corps et dans votre esprit."

- Nous recevons également ce soir

d'autres intervenants qui peuvent

apporter des points de vues

pertinents. 

Nous avons, tout d'abord, ...

- Ah, pardon, je n'avais pas vu qu'une autre main était levée. Monsieur, une question pour Franck ?

- Oui, et à vous aussi, en fait.

Je suis journaliste pour un 

média local. Je souhaitais

savoir comment s'est passée 

votre rencontre ? 

"Et avec ça, je souhaitais savoir si Franck accepterait de revenir sur ce que les associations pouvaient apporter comme aide à la réinsertion ?

- Bien sûr. Je reviendrais tout à l'heure sur nos actions précises, j'ai prévu un petit diaporama.

Il faut savoir que nous avons rencontrés Franck dans le cadre de nos actions qui  vise à accompagner la démarche de réinsertion sociale et professionnelle.

Franck, ton ressenti ?

Franck était à un tiers de sa peine. Dix ans déjà de passées dans un univers de béton, de barreaux et de règlements. Dix ans pendant lesquels une organisation minutieuse rythmait sa vie : ce n’était plus la vie que Franck avait imaginé et désiré. 

 

À vingt ans, quelque mois avant son mariage avec Amélia, il se demandait ce qu’il pouvait bien faire de sa vie. C’était l’argent qui lui manquait, pas une éducation. L’école n’était qu’une énième prison à ses yeux. Après le collège, il avait très rapidement décroché au grand étonnement de ses parents et de ses enseignants voyant en lui un élève qui excellait dans de nombreuses matières, notamment l’histoire et la littérature. En repensant à cette période, Franck n’avait pas de remords particuliers à avoir cesser le scolaire. Il regrettait simplement ses décisions prisent sur un coup de tête. Il se demandait perpétuellement pourquoi il était si violent dans ses pensées. Il souhaitait tant avoir ce temps de réflexion qui permettait de peser le pour et le contre d’une décision. Dans tout ce cheminement de pensées, il se détestait d’arriver à cette question qui lui donnait un tournis intense : « Et si j’avais pris le temps de réfléchir, serai-je tout de même arrivé à cette situation ? »

10ème année d'incarcération.

Selon des données de 2016 du Ministère de la Justice, sur l’année 2016 où 66 678 personnes ont été en détention, 49% des détenus sont sans diplôme à l’entrée en détention.

 

Seulement 2,8% de la population carcérale a un niveau scolaire supérieur (universitaire). 

 

Les détenus, au long de leurs périodes d’incarcérations, ont le droit à des formations professionnelles et formations d’enseignements. En 2019, le taux d’illettrisme au sein de la population carcérale s’élève à 10,9% contre 7% dans la population nationale. 

Au bout de dix ans, il se surprenait à faire une introspection de sa vie passée. Il devenait le comptable de son âme. Combien d’actes manqués ? D’actes ratés ? Chaque moment passé en centre de détention où il se retrouvait un temps seul était une invitation pour son esprit à ressasser le passé. 

Assis au bout d’une table, perdu dans ses réflexions, il n’entendit même pas l’arrivée des personnes qu’il attendait depuis une dizaine de minutes. Dans la petite salle, une dizaine de détenus parlaient entre eux, et d’autres étaient dans leurs coins, probablement à effectuer l’inventaire de leurs vies. Ils attendaient tous la même chose : l’arrivée des bénévoles. Pour Franck, c’était la première fois. En dix ans, il n’avait jamais participé à un atelier ou à une rencontre avec une association. Et sur un coup de tête, comme pour marquer la décennie écoulée, il décida de venir. 

« Bonjour tout le monde ! Excusez-nous du retard, nous avons été retardés pour quelques soucis administratifs. » déclara un homme au sourire chaleureux, qui avait semble t-il un pull trop petit pour lui. 

L’homme n’était pas seul : avec lui, d’autres bénévoles de tout âge. En tout, ils étaient six. Six personnes qui acceptaient de prendre sur leurs temps pour venir rencontrer des détenus. L’homme qui avait parlé fit le tour de la pièce d’un regard attentif, et s’arrêta sur Franck. Franck se sentit mal à l’aise, comme démasqué. 

Pour accompagner le service public pénitentiaire, les associations sont présentes pour accompagner les détenus durant la période carcérale. 

 

Encadré par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, les associations agissent en complémentarité de l’Administration Pénitentiaire. 

 

Il existe un réseau partenaire de l’Administration Pénitentiaire, où 24 associations au niveau national interviennent en prison. Les objectifs sont nombreux : proposer des activités, préparer la réinsertion, sensibiliser sur divers sujets, …

« Ah mais nous avons un nouveau venu ! Bonjour monsieur, je m’appelle Bruno. Je vous présente Alice, Ibrahim, Aïcha, Françoise, Victor et Eugène. Nous sommes de l’association CREB (Compagnie de la Réinsertion Européenne Bénévole). »

 

Franck, prit instantanément cet homme en affection. Il ne l'avait pas obligé à se présenter. Ce Bruno semblait jovial, une porte de secours momentanée à sa vie carcérale. Sa présentation finie, Bruno commença les rappels de la séance précédente, et l'assemblée se scinda pour diviser la salle en plusieurs petits groupes. Franck venait de remarquer lors de ces déplacements que les surveillants pénitentiaires, au nombre de trois, étaient discrètement repliés dans un coin de la pièce, surveillant la scène. Bruno, après avoir donné quelques papiers à une bénévole, se tourna vers une autre et commença à venir avec elle dans la direction de Franck. 

 

Bruno se posta devant lui, et toujours d’un sourire franc, recommença ce qui semblait être des présentations. 

​

« Alors, monsieur, bonjour. Je suis donc Bruno, et je souhaiterais savoir s’il est possible de discuter avec vous, avec ma camarade Aïcha. » Bruno tendit la main. 

Franck était décontenancé : on lui tendait la main et on l’appelait monsieur. Il se racla la gorge, et sans réfléchir, se leva, serra les mains de Bruno et Aïcha et leur fit signe de s’assoir à la table d’un geste. 

 

Bruno le regarda dans les yeux : 

 

« Alors, monsieur, comment allez-vous ? 

- On attend que ça passe. 

- J’imagine. Cela fait combien de temps que vous êtes ici ? 

- Dix ans. 

- Et vous n’étiez jamais venu à une de nos rencontres ?

- Non. Je n’en voyait pas l’intérêt. 

- Et maintenant ? 

- Je ne sais pas, j’attends de voir.  

 

Bruno sortit un petit flyer de sa poche . « Peut-être que nos actions vous intéresseraient ? » Franck jeta un regard timide sur le papier que tendait Bruno. Il releva ses yeux pour scruter les deux bénévoles. 

« Je m’appelle Franck. » Les deux hochèrent la tête, heureux de pouvoir mettre un nom sur un visage. 

 

« Enchanté Franck. Merci d’être venu à cette séance d’informations.

- Vous faites quoi en prison ? 

- Eh bien, de nombreuses choses. On travaille en lien avec l’Administration Pénitentiaire. On fait partie d’un réseau partenarial, et on cherche à favoriser le mieux possible la réinsertion. 

- Ce n’est pas pour moi alors, j’en ai encore pour vingt ans. 

- Oh, ne croyez pas ça. On peut aider pour trouver un travail, un logement d’urgence, tout ce qui tourne autour de la réinsertion. Mais on ne fait pas que ça ! On organise des cafés citoyens. 

- Des cafés citoyens ? 

- Oui. On fait de nombreux débats sur un tas de thématiques différentes. Par exemple, la semaine dernière, on a organisé un débat sur l’égalité femme-homme. 

- Ça sert à quoi franchement, de faire des débats de cette manière ? De toute façon, on ne participe pas à la société. On est là, enfermés dans nos cellules et les citoyens n’en ont rien à carrer. On est dominés par cette Administration pénitentiaire comme vous aimez l'appeler. 

- Honnêtement, Franck, c’est votre ressenti et je suis certainement très mal placé pour vous faire changer d’avis. Mais permettez-moi de vous faire part de mon désaccord. Vous n’êtes pas oublié par la société. Pleins de bénévoles sont là. Il faut déconstruire ces idées néfastes qui font que vous êtes dominés comme vous dites et…

- Vous faites quoi d’autre ? coupa sèchement Franck, appréciant au fond, d'avoir enfin un dialogue intéressant.

- Pleins d’autres choses ! s’enthousiasma Bruno. On propose des journées de mobilisation, de rencontres sur de nombreux sujets comme la santé. D’autres associations viennent en aides, comme le Sidaction. On propose des choses culturelles. La semaine dernière, on a proposé une pièce de théâtre dans le quartier des femmes. 

- Et ça marche ? s’étonna Franck. Je veux dire, ces détenues…elles acceptent de jouer au théâtre ?

- Bien sûr. Ça ne vous intéresserait pas ? 

Les associations nationales faisant partie du réseau partenarial sont les suivantes :

 

AIDES, qui sensibilise au SIDA et aux hépatites.

ALCOOLIQUES ANONYMES, qui soutient les détenus en difficultés avec l’alcool.

ANAEC, qui vise à améliorer les missions des assesseurs.

ANVP, qui propose des visiteurs de prisons pour soutenir moralement les détenus.

AUXILIA, cherchant à préparer la réinsertion des détenus malades ou handicapés.

CAMERUP, faisant de la prévention sur les addictions.

CASP-ARAPEJ, aidant au retour dans la société pour les détenus ayant fini leurs peines.

LA CIMADE, aidant les détenus de nationalités étrangères.

CITOYENS ET JUSTICE, cherchant des alternatives à l’incarcération.

CLIP, initiant les détenus à l’informatique dans le but d’une réinsertion professionnelle.

LE COURRIER DE BOVET, proposant du soutien moral par correspondance de lettres.

CROIX ROUGE FRANÇAISE, assistant les détenus. 

DAVID ET JONATHAN, luttant contre l’homophobie.

FARAPEJ, à l’origine des Journées Nationales Prison.

FÉDÉRATION DES ACTEURS DE LA SOLIDARITÉ, proposant des centres d’hébergement.

FREP, cherchant à maintenir le lien entre enfant et parent incarcéré.

GENEPI, collaborant pour une réinsertion réussie.

NARCOTIQUES ANONYMES, sensibilisant aux produits psychoactifs.

PETITS FRÈRES DES PAUVRES, luttant contre l’isolement des détenus âgées.

SECOURS CATHOLIQUE aidant les détenus en pauvreté carcérale.

SIDACTION, qui sensibilise au SIDA et aux hépatites.

SIDA INFO SERVICE, qui sensibilise au SIDA et aux hépatites. 

UFRAMA, souhaitant maintenir les liens familiaux.

UNAFAM, accompagnant les détenus souffrant de troubles psychiatriques.

Franck se posa la question. Se voyait-il jouer l’Avare devant d’autres détenus ? Avait-il seulement le niveau ? 

 

- En réalité, je pense que je ne suis pas fait pour tout ce que vous proposez. J’ai pas fait d’études, j’ai pas vos réflexes, votre intelligence et…

- Non, excusez-moi de vous couper Franck, mais ça n’a rien à voir avec les études. Ou une supposée intelligence. Ne croyez pas que je suis plus intelligent que vous. Je sais que vous avez la sensation que tout est fait pour vous maintenir la tête sous l’eau, mais vous valez plus que cela. Vous n’êtes pas le seul à ne pas avoir fait d’études : beaucoup de détenus avec qui j’échange sont des personnes qui ont un niveau de qualification faible, qui ont des prises directes avec ce que la société peut produire de moins noble dans son fonctionnement. »

​

​Franck admirait subitement Bruno. Il s’en émouvait presque de voir autant de volonté de la part d’un bénévole dans un discours qui résonnait tant à son vécu. Il se dit qu’il avait peut-être une chance de casser sa routine de détenu. Il prit le temps de réfléchir, et satisfait pour la première fois de sa décision, il demanda : « J’aimerais bien que vous m’accompagniez au fil de ma détention et que vous m’aidiez à trouver du travail. » 

29ème année de détention.

​

« Tu vois, depuis le temps que l’on se connait…Je t’avais dit que cet atelier était fait pour toi. Je pense qu’après toutes ces tentatives, tu as enfin trouvé la solution. Les livres. » 

 

Bruno était assis à côté de Franck, cafetière à la main. Depuis dix-neuf ans où la première rencontre avait eu lieu, Bruno avait vu et aidé de nombreux détenus aux différents parcours. Récidives, semi-liberté, suicides, réinsertion réussie, Bruno avait tout vu. Mais le cas de Franck lui restait particulier. Il se demandait bien comment la fin de l’histoire carcérale de Franck finirait. Il espérait tant que cette perspective d’emploi lui redonnerait enfin le dynamisme tant attendu, à un an de la fin de peine. 

Franck était à côté de lui, en train de regarder ce livre déchiré qu’il réparait. En le regardant, Bruno se rendait compte de la probable aide bénéfique qu’il apportait aux détenus. Et cela, ça le rendait heureux. 

Le rôle d'une association dans la réinsertion.Interview de Gérard Varaldi, vice-président de l'association Companio.
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