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CHAPITRE UN

Franck

"On reçoit donc Franck qui a eu la gentillesse de venir témoigner.

Il faut reconnaitre que la parole d'un ancien détenu est plutôt rare !

Franck, sans plus de présentation...

... je te laisse la parole ? 

Le froid du printemps était tel qu’il suffisait de toucher le mur de la cellule pour ressentir l’hiver au plus profond de soi. La campagne semblait figée. Un bref filet blanc recouvrait l’horizon gris, du brouillard. Seuls des points rouges, ceux des éoliennes, semblaient vouloir donner vie à un paysage morne. Depuis la fenêtre armée de trois barreaux, Franck s’égarait dans la contemplation vide d’un univers dénué de sens. 

Perdu au milieu de la campagne, à quelques kilomètres d’une commune, le centre de détention était la seule tâche grise qui apparaissait à tout promeneur égaré. Un bâtiment de béton, bien loin de tout divertissement. Le matin, avant le petit-déjeuner, le calme était religieux. Rare. Aucun écho ne parvenait à l’oreille de Franck, qui venait de faire son lit. Drap rangé, oreiller dressé, la couchette était redevenue glacée, quelques minutes seulement après le lever. Encore dans les prémices du réveil, Franck était là, debout, hagard, les bras ballants au milieu de sa cellule. Il ne décrochait pas du regard les points rouges, seuls repères dans l'horizon.  

En France, il existe 186 établissements pénitentiaires. Gérées par l’Administration Pénitentiaire (AP) qui dépend du Ministère de la Justice, ces lieux privent les détenus de leurs libertés le temps d'une condamnation. 

 

Pour les courtes peines de moins de deux ans et pour les détentions provisoires, il existe les maisons d’arrêts. 

 

Les maisons centrales, qui ont une organisation spécifique, concernent les détenus aux longues peines et ceux considérés comme « dangereux ». 

 

Les centres de détention, où l’histoire fictive de Franck se passe, sont au nombre de 25 et privilégient la réinsertion. 

 

Les centres de semi-libertés et les quartiers centres pour peines aménagées sont réservés aux détenus bénéficiant d’un aménagement de peine. 

 

Les centres pénitentiaires sont des établissements rassemblant à la fois des maisons d’arrêts et des établissements de peines. 

Depuis vingt-neuf ans que Franck était dans cette cellule, les lumières étaient toujours au même endroit. Rouges, la nuit ; blanches, le jour. Constamment, il se demandait pourquoi la couleur des lampes provenant des éoliennes changeait en fonction du jour ou de la nuit. Sa question, il ne la posait à personne. Il se promettait d’y répondre à sa sortie, dans un an. Mais ce n’était pas sa seule interrogation. Constamment, il se demandait pourquoi il avait dérapé ce jour-là, il y a vingt-neuf ans. 

« Dégage ! » L’arme de poing était fièrement dressée contre l’employé de banque. Les lunettes cassées, l’employé était à terre, projeté par la violence du coup de crosse qui avait ouvert la possibilité à son corps d’exprimer sa souffrance, du sang. Tremblant, il se tâtait la tempe pour vérifier que ce qui arrivait était réel. Pas le temps de vérifier, le braqueur était de retour. « Dégage je te dis ! Où est ta collègue, celle qui a les clés ? » L’employé hésita puis parla, d’une voix moins sûre qu’il ne l’aurait souhaité : « Ce n’est pas elle qui a les clés. C’est mon directeur, et il n’est pas là. De toute façon, vous ne pourrez pas ouvrir les coffres. On a une double sécurité. » 

« Franck ! Laisse tomber, les flics arrivent ! » cria un second braqueur, provenant d’un escalier amenant aux salles inférieures. Franck était dans son élément, satisfait jusque-là de ce qui se passait. Fort caractère, infréquentable, il aimait cette adrénaline de dernière minute, où tout se joue à la seconde près. Sans défaillir, caché derrière un masque, il répliqua : « T’inquiètes, ce n’est que partie remise. On se casse. Prépare la sortie de secours ! ». Le braqueur repartit sans poser de questions. Franck entendit les sirènes au loin, ce qui le déconcentra le temps d’une seconde. Une seconde qui permit à l’employé de saisir sa chance, celle de pousser le braqueur à terre. Le banquier, dans un élan de folie, se redressa et poussa Franck, qui vit le coup venir. Au dernier moment, Franck se stabilisa sur sa seconde jambe, l’empêchant de s’affaler, laissant la possibilité à l’employé de redécouvrir la dureté du sol. Le braqueur, tout en soupirant, sentit son sang se glacer. Non, il n’était pas tombé à terre. Mais le masque, si. L’employé voyait maintenant le visage de Franck, 24 ans. Comme un coup de pied dans la table où repose un château de cartes, le plan s’écroula. Il n’était plus protégé par le masque et le contretemps lui avait fait oublier l’arrivée plus qu’imminente des forces de l’ordre. Alors, dans un coup de folie, il décida de punir l’employé. 

« Franck ! Petit-déj ! » Le retour à la réalité fut aussi brutal que salutaire : les souvenirs lui faisaient parfois plus mal que sa condition physique actuelle. Il se retourna. C’était Guillaume, un détenu annonçant l’ouverture de la cantine. « J’arrive » répondit laconiquement Franck. Sur les pas de Guillaume, il quitta sa cellule en jetant un dernier regard aux lumières dans l’horizon. Les éoliennes projetaient des lumières blanches. 

Selon quatre textes de lois, dont les articles 717-3 du Code de Procédure Pénal, les détenus ont la possibilité de travailler au sein des établissements pénitentiaires. C’est le cas de Guillaume, dans l’histoire fictive. Si l’Administration Pénitentiaire n’est pas obligée d’employer ses détenus, elle doit toutefois en faire la tentative. 

 

Les postes de travail sont répartis en fonction des profils des détenus, et le travail effectué obligatoirement dans l’établissement n’est pas soumis au code du travail, à l’exception des détenus en semi-libertés pouvant travailler en dehors de la prison. Les détenus-employés sont rémunérés à hauteur de 1,60€ de l’heure. La rémunération est soit reversée aux victimes s’il y a obligation d’indemnisation, soit donnée au détenu de deux manières. Soit, il est payé directement soit la rémunération sert à constituer un pécule de libération (une création de somme d’argent pour préparer la sortie du détenu).

Le réfectoire où était situé la cantine servant aux différents repas de la journée était déjà rempli. La salle, large et haute, était propice à l’écho, au brouhaha que détestait tant Franck. Après plus d’une vingtaine d’années, il ne demandait plus qu’une chose : le silence, et sa cellule répondait idéalement à son envie. Une fois le petit-déjeuner sur son plateau, il rejoignit une tablée où était déjà assis une vingtaine de détenus. Sans vraiment réfléchir, il s’assit là où était la première place disponible. Faute d’une envie de se retrouver dans une nouvelle dispute, il hocha la tête et demanda vaguement s’il pouvait s’assoir, bien que déjà installé. En face de lui, un jeune homme qui devait avoir la vingtaine. « Salut » dit-il, en regardant Franck comme s’il était une bête mystérieuse qu’il n’avait jamais rencontré auparavant. Franck leva un sourcil, et tout en sucrant son café, lui répondit : 

 «  Salut, on se connait ?

- Non, mais c’est normal, je viens d’arriver il y a quelques jours. 

- Dans ce cas, bienvenue.

- Merci. Et toi, ça fait combien de temps ? 

- Vingt-neuf ans. Ma fin de peine est dans un an. 

- Oh, tu as bientôt fini. 

- Et toi ? 

- J’ai plus longtemps que toi. 

- Et t’en es fier ? s’amusa Franck, en touillant son café. 

​

Le jeune homme ne répondit pas. Le malaise s’était installé doucement. Franck toussota et tout en préparant sa tartine, il relança la conversation. 

 

« Moi, c’est Franck.

- William, se redressa le jeune homme, quelque peu satisfait de la relance.

- Et donc, t’en as pris pour combien de temps ? 

- Perpétuité. 

 

Le silence revint à la charge. 

- Ça va être difficile de faire une discussion totalement légère dans ce cas…soupira Franck.

- Non, mais au contraire, je préfère parler d’autre chose. Tu sors dans un an, tu as des gens qui t’attendent ? 

- À mon tour de vouloir parler d’autre chose. 

- Tu as préparé ta sortie ? 

 

Agacé, Franck sans dire un mot se leva, prit son plateau et partit chercher une autre place. 

 

À une autre table, cette fois sans personne en face, il ne pouvait plus s’empêcher de penser au jeune détenu. À chaque tranche avalé, c’était de plus en plus le goût amer de la situation qui resurgissait. Il ne voulait penser à rien d’autre que sa cellule. Il ne voulait plus penser à ce qui s’était passé au parloir, quelques années après son incarcération. Il voulait oublier la fin de peine, tant souhaitée que crainte. 

Ses activités durant son incarcération étaient redondantes, mais organisées. Les rencontres avec son avocat, les sorties médicales, les entretiens avec la psychologue carcérale, et les échanges avec les associations qu’il rencontrait. Tout lui paraissait fade comme ce café qui refroidissait de seconde en seconde, mais c’était toujours plus réjouissant que ce qui viendrait après. 

 

Franck se rendait compte subitement d’une chose : il venait de passer presque trente ans en centre de détention. 

Si l’histoire de Franck est fictive, la condamnation n’en reste pas moins réelle. Si une personne est reconnue coupable devant la Justice pour braquage à main armée avec usage de celle-ci, c’est la condamnation pénale la plus forte en France pour ce type de crime. Trente ans de réclusion criminelle et 150 000 euros d’amende

Trente ans de conditions carcérales, c’est trente ans derrière les barreaux, laissant entrapercevoir la liberté perdue. Durant ces trois décennies, Franck aurait pu faire autre chose. Mais c’était sans compter sur ses actes qu’il se devait d’assumer, s’assurait-il au fond. Résolu - ou résigné -, il arrêta subitement d’y penser. Puis bu d’une traite les dernières gouttes du breuvage.

« Encore un peu de café ? » Franck sortit de ses pensées. Il regardait éberlué, un livre déchiré à la main, la personne qui venait de lui adresser la parole. Bruno, tout sourire, avec la cafetière usée à la main. Il regardait autour de lui : il était en atelier, en compagnie du vieil homme, bénévole d’une association locale. Franck venait de se rendre compte qu’il s’était encore perdu dans ses pensées, et qu’il n’arrêtait pas de ressasser le début de sa journée, mélange de vieux souvenirs et rencontre désagréable. « Non, merci, Bruno ». L’homme, qui portait un pull trop court pour lui, s’assit à côté de Franck. 

Pour être autorisé par l’Administration Pénitentiaire à être visiteur de prison (terme officiel pour les personnes bénévoles souhaitant contribuer au bien-être des personnes détenues), il faut être majeur (18 ans) et avoir le bulletin n°2 du casier judiciaire vierge.

« Alors, Franck, où en es-tu ? 

- Je…Eh bien, j’ai presque fini de réparer ce livre. Je l’ai séché tout à l’heure, la colle devrait tenir. Il me reste la couverture à retaper. 

- Tu as fait du très bon boulot. 

Bruno ne put s’empêcher de rire. Franck, devant la joie communicative du bénévole, se mit à sourire : 

 

« J’ai dit une bêtise ? 

- Non, non au contraire, dit Bruno. J’étais en train de rire par rapport à la situation. 

- Donc de moi ? 

- Non. Mais bien plus de la satisfaction que cet instant m’apporte.

- C’est à dire ? 

- Tu vois, depuis le temps que l’on se connait…Je t’avais dit que cet atelier était fait pour toi. Je pense qu’après toutes ces tentatives, tu as enfin trouvé la solution. Les livres.

Franck, silencieux, étendit ses bras pour mieux voir le livre qu’il venait de réparer en partie. Tout en continuant à le regarder, il entendit Bruno continuer. « Franck, après 30 ans, tu ne crois pas qu’il est enfin temps de te dire la vérité ? » 

- Je ne comprends pas…

- Ce n’est pourtant pas bien compliqué. Tu es fait pour être libraire. Tu sais que nous sommes là pour te soutenir, pour t’accompagner, comme toutes ces associations que tu as déjà rencontré. On peut t’accompagner dans cette ultime démarche. 

- Bruno…Tu te rappelles pourtant de cet entretien où…

- Franck. Ça a marché pour pleins d’autres détenus avant toi, et ça continuera de marcher pour les futurs détenus. Tu n’es pas condamné à vie, tu dois maintenant avancer.

Devenir libraire. Il n’était plus question d’être simplement celui qui répare les livres, mais bien d’être celui qui les fait découvrir…Cette idée, qui aurait été absolument absurde pour le Franck d’il y a trente ans, lui paraissait maintenant parfaitement logique. C’était décidé : Franck voulait être libraire. 

Qu’est-ce que la réinsertion ? La réinsertion post-carcérale fait suite à une période de privation de liberté dans un établissement pénitentiaire. Toute personne ayant purgé sa peine retrouve ses droits civiques : il est donc réinséré dans la société. La réinsertion est diverse : elle est à la fois professionnelle, sociale, personnelle et morale. On parle aussi de réhabilitation. 

Témoignage d'une réinsertion réussieInterview de Gérard Varaldi, vice-président de l'association Companio
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